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Trente glorieuses

6 octobre 1973 – L’été indien des Trente Glorieuses

par | Jan 21, 2021 | 20 commentaires

En octobre dernier est paru un livre qui n’est pas consacré à la course automobile, mais qui en parle. Et qui en fait même son point de départ pour revenir sur une époque vieille de cinq décennies.

Olivier Favre

J’ai déjà eu l’occasion de dire sur ce site à quel point j’ai été et reste frappé par l’extraordinaire simultanéité de la mort de François Cevert avec la guerre du Kippour, cause directe du premier choc pétrolier qui a mis fin aux Trente Glorieuses. C’est pour moi l’exemple type d’une synchronicité, telle que le psychiatre suisse Carl Jung la définissait : la coïncidence temporelle de deux ou plusieurs événements, dont la relation ne relève pas de la causalité, mais d’une association par le sens.

Début décembre j’ai appris par hasard que je n’étais pas le seul. Xavier Charpentier a lui aussi été marqué par ce parallèle. Au point d’en faire un livre : 6 octobre 1973, l’été indien des Trente Glorieuses (Editions Plein Jour).

Je ne pouvais pas ne pas l’acheter.

L'été indien des Trente Glorieuses

C’était l’automne, un automne où il faisait beau

Xavier Charpentier avait 9 ans en ce début d’automne 1973. Et, ainsi que débute le texte de la 4e de couverture, « Il est des dates qui marquent l’existence d’un enfant de 9 ans comme elles marquent celles de millions d’hommes et de femmes ».

C’est donc en tant qu’enfant qu’il a vécu la mort de François Cevert. Et c’est en partant d’un récit de l’accident fatal (pour autant qu’il puisse être raconté, en l’absence presque totale de témoins oculaires), qu’il entreprend une plongée spéléologique dans ces premières années 70 depuis longtemps enfuies. Alternant ses souvenirs d’enfant et les pépites récoltées dans la mine des archives de tous ordres (journaux, livres, émissions télé, films, …) de ces années-là, Xavier Charpentier raconte une fin. Celle de ces Trente Glorieuses qui s’achevaient sans en avoir conscience. Comme il l’écrit, il a voulu comprendre « à quoi ressemble un jour qui a l’air comme les autres, alors qu’il est un dernier jour ? ».

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Eté indien
François Cevert, Watkins Glen 1973 – © DR

Avec François Cevert en filigrane de l’ouvrage, au fil des pages l’auteur mélange des considérations  tantôt ironiques sur des publicités de l’époque, tantôt poignantes sur le courrier du cœur du magazine Elle. Il s’étonne des annonces au mot de Nice-Matin, insère des brèves et faits divers d’époque sans commentaires. Il évoque aussi ses propres souvenirs d’enfant découvrant le tout neuf aéroport de Roissy avec sa mère ou le trou des Halles avec son père. Et la guerre du Kippour bien sûr, ce point de bascule entre deux ères.

Aujourd’hui je suis très loin de ce matin d’automne

Avec en fond sonore Aladdin Sane et Dark side of the moon, on y croise pêle-mêle Fernand Raynaud qui se tue avec sa Rolls huit jours avant Cevert. Georges Pompidou qui ne saurait s’exonérer d’une visite au Salon de l’auto. Jean Royer, ministre en guerre contre les hypermarchés. Jacques Mesrine qui s’évade encore. Nina Rindt et son chronomètre à Monza. Et Patrick Modiano, Gisèle Halimi, Pierre Messmer, Jacques Chancel, Julien Clerc, Céleste Albaret (normal pour un livre à la recherche d’une époque perdue), Rabbi Jacob et Danielle Cravenne, …

Trente Glorieuses
Georges Pompidou, entre Jean Rédélé et Pierre Dreyfus (PDG de Renault), en visite au Salon de l’Auto 1971 – © Renault Communication

En cette fin des Trente Glorieuses, on donnait des petits noms poétiques aux autoroutes par voie de consultation publique. Consultation organisée par un Ministère de l’aménagement du territoire. Il est remplacé aujourd’hui par un Ministère de la cohésion des territoires (au pluriel). Le choix des mots n’est pas innocent, l’auteur le remarque fort justement.

A cette époque on parlait encore d’expansion, « ce mot magique pour dire la croissance et tout ce qui va avec, le progrès, le bien-être, la liberté de prospérer, les désirs assouvis, le confort, l’ascension sociale, les projets qu’on s’autorise parce qu’on sait qu’on pourra les réaliser. » Le Club de Rome avait bien sorti en 1972 un premier avertissement, le rapport Meadows sur les limites à la croissance. Mais qui s’en souciait réellement ?

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A cette époque on s’extasiait devant la Citroën SM, son style avant-gardiste et son moteur Maserati, promesse de vitesse luxueuse. Y compris dans Okapi. Imagine-t-on aujourd’hui un dossier spécial sur un modèle ou une marque automobile dans un illustré pour la jeunesse ? D’ailleurs, même le mot « illustré » est désuet …

Eté indien
La SM, luxe et bon goût des années 70 © DR

A cette époque les adultes croyaient encore que leurs enfants vivraient mieux qu’eux-mêmes. Aujourd’hui, c’est la collapsologie qui a le vent en poupe.

Il y a un an, il y a un siècle, il y a une éternité

Lisez ce livre, si vous voulez vous remémorer ces années 1970-73 qui furent les quatre dernières des Trente Glorieuses. « Les dernières avant que tout ralentisse, et que tout se complique et se mette à peser ». Des années qui s’éloignent de plus en plus dans le rétro, à mesure que disparaissent leurs figures emblématiques. Giscard, Pierre Cardin, Guy Bedos, Michel Piccoli, Claude Brasseur, Robert Herbin, Christophe, Ennio Morricone, Sean Connery, … le millésime 2020 a fait sa moisson de DNF bien au-delà du monde de l’automobile. Encore quelques années et il n’y aura plus personne pour se souvenir de cet été indien.

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About Olivier Favre
Le goût de l’automobile est un atavisme familial transmis par mon père, qui l’a manifesté autant à l’échelle 1 que par les Dinky Toys. Mais l’intérêt pour la course est ma spécificité et j’y suis venu très tôt par les miniatures Solido des 24 Heures du Mans, Ferrari 512 M, Matra et autres Porsche 917. Après le jeu sur les tapis est venu le temps de la collection et du modélisme, de l’abonnement à Sport-Auto puis à Auto-Hebdo. Parallèlement, mes études à Sciences-Po ont confirmé mon intérêt pour l’Histoire et renforcé ma confiance rédactionnelle. Une fois trouvée ma voie professionnelle dans la fonction publique territoriale, j’ai voulu réunir tout cela et écrire sur l’histoire de la course automobile, celle que je n’ai pas vécue, celle que j’aurais aimé vivre. C’est ainsi que j’ai collaboré à Automobile Historique pendant trois ans. Puis sont venus Mémoires des Stands et le magazine Autodiva, qui me permet de garder le contact, précieux pour moi, avec le papier. Et enfin Classic Courses depuis 2012.
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