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Jean-Pierre Beltoise

5 janvier, la mort des Pères

par | Jan 5, 2020 | 6 commentaires

Nul ne se construit sans une autorité paternelle, une figure tutélaire. Comment ne pas admirer ce père en grand tenue de saint-cyrien, torturé par la gestapo pour n’avoir pas parlé ? Sa mort brutale à 39 ans m’avait vidé de toute sève, pauvre roseau battu à tous les vents. C’était le 5 janvier.

Patrice Vatan



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Il y a cinq ans , Jean-Pierre Beltoise

Un demi-siècle plus tard, celui dont j’avais fait une autorité paternelle de substitution, une figure tutélaire de remplacement mourait brutalement. Quelque chose de moi disparaissait à jamais. C’était le 5 janvier, il y a exactement cinq ans.

J’interprètai cette coïncidence de dates comme un signe émis par le grand rouage de l’univers. On avait veillé sur moi.

Six mois avant la mort de mon père, un titi parisien, gouailleur, était libéré de son service militaire en Algérie. 28 mois dont il rentrait rebelle à l’autorité, un trait de caractère qui marquerait sa carrière. Il s’appelait Jean-Pierre Beltoise. J’ignorais son existence.

Aimant l’automobile, Jean Vatan nous avait traîné, ma mère et mon frère au Grand Prix du Maroc en 1957 – nous vivions à Casablanca. La vision des Ferrari filant à toute blinde et dans un bruit d’enfer le long de la ligne droite de la mer que j’entraperçevais entre les jambes des adultes m’avait laissé indifférent.

Une graine pourtant avait été plantée là, attendant la goutte d’eau qui la germerait.
Elle se formerait, s’arrondirait huit années durant, cette goutte d’eau, avant d’éclater en août 1965 sur la couverture d’un canard de bagnole qu’une voisine m’avait offert car j’étais cloué au lit, une jambe cassée.
Un jeune homme au sourire élargi prenait toute la place, au volant d’une voiture de courses bleue. Un bandeau proclamait « VICTOIRE FRANÇAISE À REIMS ». Je dévorai l’article qui évoquait un certain Jean-Pierre Beltoise remportant sa première victoire en F3 sur une toute nouvelle voiture française, la Matra.

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Le journaliste Jean-François Rageys écrivait de façon prémonitoire que la course resterait dans les annales de la compétition automobile.
Intrigué par ce Beltoise, je fouillai et découvris qu’un an plus tôt jour pour jour sur cette même piste de Reims il avait été ramassé à la petite cuillère, brisé de partout, éjecté de sa René Bonnet. Un type normal n’aurait jamais recouru. Lui si.

Ce petit personnage teigneux, âpre, d’un courage hors-norme, avec son bras recousu et bloqué dans une position unique, celle requise pour tenir un volant, me conquit peu à peu, entra en moi.
Alain Barrière chantait « Ma Vie » dans ces années-là, ma vie mais c’est long long le chemin, ma vie j’en ai vu de beaux jours, je sais et j’y reviens toujours ♫.

Ces sixties enchantées nous voyaient mon frère et moi de part et d’autre de l’épais accoudoir central scindant la banquette arrière en deux petites niches de cuir de la Jaguar MK 10 que notre nouveau beau-père menait sur la RN20 vers Romorantin.
Le jeu consistait à décrypter à travers le rideau de vitesse non limitée la flamme bleu et rouge du Stand 14, sur la gauche, suivie vingt secondes après par une longue barre surlignée en bleu par les lettres MILLE MILLES – JP BELTOISE. Nous espérions attraper au vol la silhouette malingre, sautillante, du boss en sortir.
C’est arrivé une fois. Sanglé dans sa combinaison blanche frappée du coq rouge Matra, coiffé d’un casque bleu et blanc affichant le logo du Stand 14, Jean-Pierre Beltoise grimpait toujours plus haut dans mon firmament intime. Il finit par rejoindre l’homme au casoar.

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J’approchai l’homme du Stand 14 au premier Salon de la voiture de course de Paris, en février 1970.
Nimbé d’une lumière extraordinaire, auréolé de sa magnifique deuxième place à Charade qui a valeur de victoire, derrière Ickx, que j’avais dévorée des oreilles sur mon vieux transistor par une chaude journée d’été à Romorantin, Jean-Pierre Beltoise m’était inaccessible.

Non qu’il le fût physiquement mais j’érigeai une barrière mentale entre cette figure parentale, cette autorité tutélaire de substitution, et moi.

Les dates s’enchaînèrent, chacune ajoutant une pierre à la muraille derrière laquelle j’enfermais l’idole.

– 1969, victoire aux 1000 km de Paris, apprise au retour d’un crapahutage militaire sur les hauteurs de Nancy sous les ordres d’un ancien d’Algérie, le chef Bebing, qui tirait sur nous avec une 22LR perso pour nous forcer à faire ffomec.
– 1970, sublime souvenir d’une forêt d’Ile-de-France, arasée d’une lumière d’automne comme on n’en voit qu’en cinémascope, JPB descendant de sa 660 C fumante.
– 1972, cavalcade phénoménale à Monaco que nous fûmes une poignée de fidèles qui se comptent aujourd’hui, à vivre, rassemblés au Faye de Montlhéry, suspendus aux paroles de Jean Douai, le speaker, davantage occupé par ce qu’il captait de Monaco sur son téléviseur dans la tour de contrôle que par les courses de second ordre qui se déroulaient devant ses yeux.
– 1973, premier voyage à Monaco dans l’espoir que JPB réédite son exploit. Je gagnai ce jour-là deux amis indéfectibles, l’immense et terrible professeur Reimsparing et Pierre Chrétien, compagnons de plus de 40 ans de route.

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Il me faudrait deux ans de plus pour enfin parler à Jean-Pierre Beltoise. Pau 1975. Didier Braillon et moi déambulions au paddock. Didier fut le fondateur du club Jean-Pierre Beltoise. Il avisa ce dernier, s’avança. JPB lui serra la main, à moi aussi mais atténuant l’importance de son geste en se grattant le cul de sa main libre. Une entrée en matière qui m’a toujours amusé, on ne devrait jamais aborder ses idoles.

C’est à Angoulême, quelque 30 ans plus tard (sic) que je l’abordai enfin. Il était seul, face à l’Hôtel de ville. Les gens ne le reconnaissaient pas. « Vous êtes jean-Pierre Beltoise ? » Un demi-siècle d’adoration qui aboutissait à cette lamentable approche. Comme si je ne l’avais pas reconnu…

Nul ne se construit sans une autorité paternelle, une figure tutélaire. Comment ne pas admirer ce père de substitution, initiateur d’un big bang qui donna naissance à une génération de pilotes porte-drapeaux, a lancé Matra, LA firme-culte de l’après-guerre ?

Sa mort brutale le 5 janvier 2015 a arraché l’une des ultimes fibres vitale d’un vieux roseau battu à tous le vents, qu’une bise mortelle guette. « Ma vie » resurgit du temps ancien, propulsée par la mort récente de son auteur.

Ma vie mais c’est long long le chemin, ma vie j’en ai vu de beaux jours, je sais et j’y reviens toujours ♫

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About Patrice Vatan
Je suis né à l’automobile entre les jambes de mon père. Mêlés à la poussière soufflée sur la piste de Ain Diab par le vent du large, ce sont des souvenirs quasi post-utérins qui remontent, flashes rouges émis par les Ferrari, les seules auto dont je me souvienne lors du Grand Prix du Maroc 1957, hors championnat mais nullement sans saveur. Vision au ras du sol, comme filmée par Walt Disney lorsqu’il s’adresse aux enfants. Huit ans plus tard une jambe cassée m’envoyait au lit et je dois à la couverture du Sport-Auto de juin 1965 – Jean Guichet sautant dans sa Ferrari 275 P -, que m’avait offert une voisine pour me distraire, ma première vraie émotion automobile à l’état conscient.
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